Ce n’est un secret pour personne, il existe entre le château de Lanet et celui de Bouisse une amitié.

Cette amitié existait entre leurs précédents propriétaires respectifs, Max Savy le peintre des Corbières et René Nelli l‘érudit poète et philosophe ; et elle semble bien perdurer entre leurs successeurs dans les lieux.

Au point que les deux associations, celle des amis du château de Bouisse et celle des amis du château de Lanet ont désormais une manifestation commune dont la première a eu lieu avec grand succès fin octobre 2023.

Mais revenons un instant aux grands hommes.

Deux figures incontournables de l’Aude et du vingtième siècle mais aussi deux hommes passionnés dont beaucoup d’entre nous aiment à se souvenir pour avoir eu l’un ou l’autre comme enseignant ou voisin.

Ils se sont connus dans les années 1940-1950 à Carcassonne, fréquentant la maison de Joë Bousquet. C’est René Nelli qui le premier a trouvé le chemin des Corbières et reconnu le château de Bouisse comme le havre de sérénité où il allait s’installer pour travailler.

Bouisse

Le château de Bouisse en 1950 n’avait rien d’ostentatoire.

Démembré par la volonté de sa dernière propriétaire « noble » Rose d’Exéa, dans le premier tiers du XIXe siècle, il avait été vendu à plusieurs propriétaires des environs et de ce fait avait subi un sévère réaménagement fonctionnel (ajout de cloisons, de planchers,..)

René Nelli a d’ailleurs dû patienter une dizaine d’années avant de pouvoir acquérir la totalité du bâtiment et entreprendre de lui rendre son apparence du XVIIème siècle.

Le château initial se limitait à une simple tour érigée au XIIIème siècle, qui subsiste à l’angle nord-est. Ce donjon a subi, vers 1650-1660, des travaux initiés par Gérard de Saint-Jean de Moussoulens, qui l’ont « raccourci » de deux étages, le rendant invisible dans l’allure générale du château. Ceci correspondait beaucoup mieux aux critères architecturaux du XVIIe siècle, période la plus glorieuse du château de Bouisse.

De ce donjon médiéval jamais reconstruit, Nelli a trouvé l’âme et son cabinet de travail était installé là.

Lanet

Comment ne pas partager avec un ami cette satisfaction d’avoir trouvé « son » lieu, comment ne pas l’inciter à trouver le sien à proximité ?

C’est effectivement René Nelli qui a orienté Max Savy vers l’opportunité d’acquérir le château de Lanet. Opportunité n’est pas forcément le mot juste…

Le château de Lanet en 1966 n’était pas ce qu’on peut appeler « une bonne affaire » et il fallait le coup de cœur d’un Max Savy pour acquérir ce que la presse d’alors qualifiait de ruines.

Mais il l’a fait ! Et plus encore.

Car au cours des trente années suivantes, le peintre a œuvré de son talent pour offrir à son ami le château une superbe restauration.

Cœurs et pierres

Vous l’aurez compris, ces amitiés châtelaines selon le titre de cette rubrique ne sont pas seulement des amitiés entre châtelains, entre propriétaires de belles demeures.

Il y a, bien sûr, les amitiés qui se nouent entre les personnes, étayées par leurs goûts et passions communes.

Mais il y a aussi ce qui se tisse entre l’humain et sa demeure de pierre au fil de la découverte de leurs histoires, de leurs rêves, de leurs fantômes respectifs…

Il y a aussi ce qui se dégage de ces bâtisses pluri centenaires, ces pierres qui ont abrité tant de situations aimables ou dramatiques, qui ont senti leurs murailles affleurées par tant de sentiments des plus violents que sont la peur ou la haine aux plus délicats comme toutes les nuances que sait parcourir l’amour.

Qui mieux que ces artistes pouvait percevoir, et saisir, cette main tendue depuis l’âme des pierres.

Alors faut-il s’interdire de penser qu’au travers des siècles ces châteaux, et probablement d’autres, ont entretenu entre eux une relation d’amitié, en imprégnant leurs occupants de ce qu’ils sont et en respirant à leur façon ce que sont leurs occupants ?