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Max Savy

Dans cette page

Le personnage

Max Savy fut maître dans l’art consommé de la peinture ; mais également en sciences humaines, tant il est vrai qu’il aura sa longue vie durant touché au cœur,  ces femmes et de ces hommes qui ont aimé l’Aude tout aussi fort que lui.

Max est né le 11 avril 1918, à Albi, dans le département du Tarn, ville où  Jean Jaurès enseignait la philosophie en 1881. Né en pays cathare, en Albi la rouge, haut lieu de la croisade historique albigeoise, Max Savy deviendra un homme de culture raffiné, d’esprit franciscain nuancé d’idéologie et de pureté hérétique.

Nul ne s’étonnera donc de le voir chez lui, dans ce pays d’Aude, terre des Bons Hommes, dont il aimera à dire qu’il est né une deuxième fois en la rejoignant.

L’Aude apprend à le connaître dès 1936, alors qu’il fréquente l’École normale de Carcassonne, dont il décore les murs en 1938. Il a tout juste vingt ans. De cette œuvre naît sa vocation. Elle n’échappera pas à l’Inspecteur d’académie qui l’encouragera plus tard à persévérer sur la voie artistique, ni à son ami Pierre Guilhem, qui recevra avec fierté l’un de ses premiers tableaux.

C’est à Lézignan-Corbières, le 25 octobre 1940, que Max Savy épouse une enfant du pays, comme lui maître d’école, la charmante Marie Rose Dumons, amoureusement dite Rosette, dont il aura bien vite une fille prénommée Maryvonne.

Il occupe son premier poste d’instituteur à Villepinte, dans l’Aude, de 1941 à 1943, et laisse dans ce village une empreinte de vive sympathie tellement profonde que les habitants se souviennent de lui pour son quatre-vingt dixième anniversaire lorsqu’ils baptisent l’école publique Max Savy.

Pendant la période sombre de l’Occupation, il prend le maquis, entre en résistance, et refuse de se soumettre au Service du travail obligatoire, ce qui lui vaudra entre autres récompenses, la croix du Combattant 1940-1945. Dès 1945 justement, à la fin du conflit mondial, il propose au Musée des beaux-arts de la préfecture une exposition de peintures, dont la facture, déjà très belle, est encore fort éloignée du style qui le rendra si distingué.

Ensuite, pendant onze ans, il réside à Palaja, dans les locaux de fonction mis à la disposition de sa famille, car Madame Savy, enseigne là comme maîtresse d’école, sévère mais efficace. Lui-même, se rend quotidiennement à Carcassonne, où il dispense des cours de dessin au collège du Bastion.

Installé par la suite à Carcassonne, rue Rodin, Savy va se consacrer entièrement à son art sublime, la peinture, sa passion d’une vie entière. Encouragé à quelques essais d’écriture, dans la revue Folklore, il se plaira aussi à illustrer quelque onze ouvrages choisis selon son goût.

L'ami du château

Max Savy a une autre passion ; c’est son ami René Nelli, propriétaire du château de Bouisse depuis 1951, qui la lui a présentée : une ruine. Max rêve de cet authentique château du XIIIe siècle dans le minuscule village de Lanet en hautes Corbières avant de pouvoir en faire l’acquisition en 1966 et s’atteler à sa restauration.

Quand Max Savy a pris possession du château de Lanet en 1966, il pouvait voir la nuit étoilée en levant simplement les yeux depuis l’entrée. Le bâtiment avait été grandement négligé et aussi, comme souvent au cours du siècle précédent, aménagé au plus pratique.

Mais il n’a pas eu peur, il s’est attaqué à cette tâche titanesque avec son arme à lui, ses pinceaux. Tandis que Rosette assurait l’intendance et l’entretien courant tout en menant quelques recherches historiques, que Pomme repérait les archères occultées, le voûtes effacées, Max peignait. Il vivait sa passion de peintre avec la joie d’en faire bénéficier son autre passion, le château.

Pendant plus de dix ans, une nuée d’artisans a investi les lieux : toiture, escaliers, planchers, menuiserie, électricité, plomberie…tout a été fait ou refait. Et cela en respectant la bâtisse originale, en ne lui retirant rien de son cachet, bien au contraire. Une restauration superbe, des matériaux nobles, une décoration harmonieuse mais surtout au final un lieu de vie. Max Savy a littéralement ressuscité ce château, non seulement en le restaurant mais en s’y installant, en y vivant au quotidien avec sa famille, en y créant la majeure partie de son œuvre colossale.

Alors si on s’autorise à penser que ce château a une âme qui lui est propre, qu’il dégage un magnétisme certain, qu’il attire mystérieusement à lui ceux qui peuvent lui faire du bien, il est certain que sa rencontre avec le maitre des Corbières était inévitable. On ne peut que s’en réjouir et constater que -puisqu’on en est à lui prêter des sentiments humains – le château n’est pas un ingrat. Tous ceux qui y viennent le disent, il se dégage de ses murs une ambiance de profonde sérénité, on s’y sent bien. Bien sûr des âmes rodent – comment pourrait-il en être autrement dans une bâtisse de huit cents ans-, celle de Max Savy en fait partie, mais aucune n’est hostile ni même dérangeante. Comme une subtile convivialité, toute en finesse, élégance et douceur.

Le peintre

Cette rubrique a été composée à partir de la conférence de M. Jean Lemoine.

Auteur d’une thèse sur l’œuvre de Max Savy, M. Lemoine a donné cette conférence au château de Lanet le 21 mai 2022 à l’occasion d’une journée d’hommage au célèbre “peintre des Corbières”.

Selon lui, la vie artistique de Max Savy comporte

Six périodes

Les débuts
1938 - 1947

Entre 1938 et 1947, le peintre est en recherche, ses œuvres sont encore des balbutiements.

1947 - 1950

Puis, de 1947 à 1950, au contact de personnalités telles que Camberoque, Bru, Nelli, Blondel, c’est la fin de l’amateurisme. Savy se dégage de l’académisme qui était son seul horizon, découvre les mouvements tels que le fauvisme, le surréalisme, le cubisme. Il reste perplexe devant Van Gogh ou Cézanne.

Il entre dans une approche géométrique des sujets, imitant en cela son ami Camberoque, qui s’est engagé depuis quelques années dans un néo-cubisme teinté de fauvisme, que le groupe appellera géométrisme. Seuls, dans le dessin, sont retenus les contours. La forme devient prétexte, désigne l’objet, les éléments du paysage, sa mission est de porter les couleurs.

 cette facture géométrique, s’ajoute une palette qui s’éclaircit, plus vive, plus tranchée. La facture naturaliste est délaissée au profit des couleurs sur des supports simplifiés. La dynamique est donnée par l’alternance des tons chauds et froids.

Trouver son style

La Capitane - 1951
1952 - Montirat
1957 - 1966

Entre 1957 et 1966, le style Savy s’affirme.

Dès 1957 avec « Paysage de Leucate » ou « Pêcheurs de Leucate », on trouve une construction qui deviendra une constante avec au premier plan, l’événement, des personnages qui déambulent, une femme qui travaille. La végétation et les cailloux sont déjà très typés, le ciel imaginaire. Par nature Savy a le souci de la symétrie et il intègre « l’aller à l’essentiel » proposé par Blondel.

À cette époque, il s’intéresse aux décors de théâtre avec son ami et voisin Jean Deschamps.

En 1961 « La montagne occupée » est une œuvre qui fait date dans le style Savy. Il reprend la fluidité de « Montirat » de 1952 en améliorant le glacis et dessine le paysage comme on construit un décor. Pas ou peu de végétation, des ombres quasiment inexistantes, des couleurs mâtes créent une ambiance surréaliste et onirique

Toutes les composantes du style se mettent en place: les personnages, les éléments de paysage, le choix de tonalités et de couleurs, les rochers surdimensionnés.la mise en œuvre d’équilibres par l’usage de la symétrie, la précision du dessin, du détail et une organisation théâtrale.

Max Savy crée un univers onirique et poétique qui lui est propre. Il devient un artiste dont l’art est étranger à l’environnement qu’il décrit. Le paysage devient prétexte., l’immobilité et le silence ne seront pas rompus.

1948 - Le Rajol sous la neige
1950 - 1957

De 1950 à 1957, c’est le virage décisif symbolisé par « La Capitane ».

Cette œuvre (125*85cm) de 1951 a été réalisée en 192h sur une commande de Madame François, épouse du directeur de l’EDF de Carcassonne. Avec « La Capitane », exécutée dans une veine flamande, Savy se dégage totalement de la manière de Camberoque ; il a trouvé son propre style.

Dans cette période, il effectue de nombreux relevés de croquis sur le motif dans les Corbières et entame la constitution documentaire d’éléments de paysage qui serviront tout au long de sa carrière. Il abandonne le travail sur le motif au profit de l’atelier. Les sujets seront suscités par les lectures, les évènements, les conversations, par son épouse et sa fille, par ses propres rêveries.

L’ambiance de ses œuvres prend une connotation Flamande. Il s’affranchit à cette occasion de toutes les contraintes de son environnement, en rupture de ce qu’il a réalisé jusqu’alors.

C’est une révélation qui lui donne conscience de ses moyens et surtout de sa liberté, de sa fantaisie, de cette part de rêve et d’imaginaire qui l’habitent ; il peut s’affranchir de tous les styles qui l’entourent ou rencontre, tout en s’y abreuvant.

 

En 1952, « Montirat » rassemble d’une manière non encore affirmée, embryonnaire, les éléments constitutifs de ce qui sera le Style Savy.

L’architecture villageoise est simplifiée, une végétation limitée à quelques arbres et plans de vignes. Il y a très peu ou pas d’ombres du tout, une utilisation des ocres, ocres jaunes qui ternissent les verts, un éclairage assourdi.

Par sa fluidité et sa construction générale qui sera reprise plus tard, cette œuvre est inaugurale.

et l'affirmer

1961 - La montagne occupée
1966 - 1976

Entre 1966 et 1976, les œuvres rassembleront tous les éléments conçus jusqu’alors pour un style bien en place, installé, qui évoluera par petite touches.

Les aplats, toujours utilisés, s’enrichissent de nuances de couleurs plus variées, les ombres sont écartées ; les ciels sont lourds et cuivrés tandis que les terres sont délaissées au profit de couleurs plus vives. Les lumières, uniformes, émanent du fond ocre posé sur toute la surface de la toile avant la mise en œuvre du tableau. Ce fond sera recouvert par le sujet, aménagé par les glacis qui laisseront passer la couleur au profit d’une ambiance particulière. Avec l’éclairage uniforme sont utilisés des personnages allégés des attaches terriennes parce que sans ombres.

Cet ensemble donne un univers calme, irréel, avec comme seule référence une Corbière réinventée, qui bien qu’ayant ses attaches dans le réel, n’existe que dans l’imaginaire du poète.

1976 - 2000

Enfin de 1976 à 2000, la tendance sera d’utiliser des tonalités de plus en plus lumineuses, baignées d’or par l’usage des jaunes. Tous les éléments précédents sont conservés, la couleur adoucit la rudesse des personnages et du décor ; les vignes et les arbres envahissent le paysage nu ; les ciels perdent leur uniformité, deviennent plus contrastés avec des nuages.

Au travers de quelque quatre mille œuvres, Max Savy sera passé du néo-cubisme éclairé de fauvisme par ambiance flamande à une écriture toute personnelle et originale.

12976 - L'or dans le village

La célébrité

Depuis la fin de la guerre, « les Savy » sont partout, suspendus à toutes les cimaises, mis en lumière par les plus riches galeries.

Le fameux Negresco de Nice invite Max dans sa suite royale donnant le coup d’envoi d’une irrésistible ascension.

Les critiques parisiens, d’ordinaire si frileux à propos des nouveaux génies de province se bousculent chez Minet à Matignon en ce début d’automne 1971, devant une interprétation des Pêchés Capitaux. L’Europe entière veut présenter « un Savy » ; les conservateurs étrangers sont jaloux lorsqu’ils ne peuvent s’en emparer.

En 1973, sous la présidence de Jacques Chirac, Max Savy est fait chevalier de l’Ordre national du Mérite. Les villes de Carcassonne, de Narbonne, de Toulouse ou de Paris font l’acquisition des œuvres du peintre réfugié en son château de Lanet. Des toiles qui entrent dans les collections patrimoniales de l’état, et meublent alors les salles de réception des préfectures du Tarn et de l’Aude. C’est au cours de sa visite dans notre département, en 1985, que le président de la République François Mitterrand recevra du Conseil général, l’un des meilleurs tableaux du maître aux terres ocres, aux arbres noirs, aux petits cailloux blancs, aux tuiles comptées, aux minuscules paysans glaneurs des champs.

Tous les honneurs ou presque, la renommée immortelle avaient atteint Max Savy. Mais il reçut plus encore, en 1992, lorsque la galerie toulousaine Inard fit publier sur deux cents pages  Le long chemin, un luxueux ouvrage biographique mettant en relief le chemin de lumière d’un peintre d’exception qui transcenda le paysage audois –  et l’éclaira du XXe au XXIe siècle. Et aussi en 2007 quand l’étudiant Jean Lemoine, vint lui présenter la thèse qui lui était consacrée, et qui venait d’être soutenue avec succès devant un jury de l’université de Toulouse-Le Mirail. Être couché avant sa mort, à la fois sur le papier du libraire et sur le diplôme universitaire, est une immense consécration dont Max Savy avait conscience et dont il se disait profondément honoré.

Au cours de l’été 2002, le microcosme culturel audois fut en émoi. Max Savy, le maître d’école laïque, l’artiste agnostique qui n’avait jamais ébréché la moindre parcelle du dogme religieux, s’était laissé convaincre de réaliser quarante tableaux, puisant leur inspiration aux sources du christianisme, et de les suspendre aux murs de la chapelle de l’ancien collège des Jésuites. Miracle de l’humanisme et de la tolérance, ce fut un événement œcuménique au retentissement immense.

Le maitre s'en est allé

Chevalier de la Légion d’honneur, Chevalier des Palmes académiques, Officier de l’Ordre national des Arts et Lettres, Max Savy s’éteindra doucement comme le font certaines étoiles célestes, le 30 octobre 2010. 

Il nous laisse une œuvre colossale, environ quatre mille toiles témoins de son temps et de son regard sur la vie en général et en particulier sur ces hautes Corbières qu’il aimait tant.

Son corps repose auprès de Rosette sa tendre épouse, disparue en 1996. La signature célèbre est apposée à jamais sur la pierre dressée de la modeste tombe du cimetière de Lanet.

Max Savy reste étonnamment vivant au cœur même du château où hommage lui est régulièrement rendu mais aussi dans les mémoires de ceux qui l’ont connu, au village ou ailleurs et le décrivent comme un formidable conteur.